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World news – Jean-Claude Carrière: « Toute image scientifique est un miroir »

Sciences et Avenir - Hommage de La Recherche à Jean-Claude Carrière, décédé le 8 février 2021.

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Dominique Leglu

le 02.09.2021 à 10:11

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L’écrivain, conteur et réalisateur Jean-Claude Carrière est décédé le 8 février 2021. Il était aussi un grand observateur de la science, ayant beaucoup travaillé avec des astrophysiciens. Sciences et Avenir – La recherche lui rend hommage avec une interview qu’il nous a accordée en 2010.

Le réalisateur, écrivain et conteur Jean-Claude Carrière est décédé le 8 février 2021 à l’âge de 89 ans. Pendant des années, il a travaillé avec les plus grands scientifiques, en particulier les astrophysiciens. Il a également été vice-président de l’agence Jules Verne, fondée en 1989 pour rapprocher médias et science. Dans son hommage, nous reproduisons une interview de 2010 qui a été accordée à Dominique Leglu, rédacteur en chef de Sciences et Avenir – La Recherche, et Aline Kiner, ancienne rédactrice en chef de l’édition spéciale.

Dix ou il y a douze ans j’ai vu au CEA de Saclay la naissance d’une image: la première apparition d’une galaxie. Inoubliable! C’était très loin et inaccessible avec un simple télescope. Il n’a été remarqué qu’après avoir examiné plusieurs radiations, peut-être des rayons infrarouges et ultraviolets ou gamma … Les instruments de mesure avaient fourni un livre entier de données numériques qui étaient traitées par un ordinateur. Et maintenant, un groupe de scientifiques se tenait devant l’écran, dont l’astrophysicien Michel Cassé, assistant, ligne par ligne, lorsque la galaxie est apparue. L’image est d’abord apparue en noir et blanc, puis ils ont ajouté des couleurs et ont utilisé les milliers et les milliers de teintes disponibles pour mettre en valeur les différentes structures. C’était absolument excitant. L’image y joue vraiment un rôle.

Oui. Mais une image de quoi? Parce qu’en science, il y a des images que l’œil ne peut pas voir. Pourtant, c’est le paradoxe absolu. L’image que l’on ne voit pas …

Ce mot peut définir plusieurs choses: une image réelle, c’est-à-dire la photo ou la reproduction artistique d’une certaine réalité. Mais aussi l’interprétation d’une réalité qui nous est invisible. C’est le cas de cette galaxie. Et aussi pour les infiniment petits, par exemple les quarks, qu’aucun œil humain ne peut distinguer. Probablement aussi pour la plupart des images cérébrales. Certaines images ne sont que des interprétations d’une réalité, parfois électronique.

Oui, car elle est là pour explorer l’invisible. J’ai été très impressionné par une phrase de Michel Cassé lorsque nous avons commencé à travailler ensemble il y a plus de vingt ans. Il a dit que chaque image que nous recevons est le résultat d’un compromis entre une forme de réalité et les possibilités de la voir: l’atome du soleil parle le langage de la lumière à l’atome de notre œil. Il y a bien d’autres points de vue, mais on ne voit qu’à ce niveau: le nucléaire. Cependant, nous savons maintenant bien que la matière nucléaire ne représente qu’environ 3% de la masse de l’univers.

Le physicien Thibault Damour a évoqué une autre grande image pour décrire à quel point nos possibilités visuelles sont petites. Il dirait: imaginez qu’en fin de compte nous sommes dans une pièce du sud de la France. Les volets sont fermés. Ils sont percés d’un petit trou, un dernier rayon passe et traverse le crépuscule. Des grains de poussière dansent dans ce rayon de soleil et nous les voyons; mais la pièce est remplie d’autres grains de poussière que nous ne voyons pas. Mais nous étudions, nous déterminons le destin, l’histoire et la composition de l’univers à partir de ce petit rayon de lumière. Et maintenant, dit-il, imaginez que vous enlevez le plafond, le sol, les murs de cette pièce … Nous ne voyons que notre minuscule poutre, nous vivons seulement, nous sommes seulement là. L’un des gros problèmes des scientifiques est de trouver à la fois des mots pour décrire des images et des images pour illustrer des mots. Cependant, ils sont limités d’une part par un vocabulaire, une syntaxe, et d’autre part par une option de représentation. Mais la science a besoin d’images.

Tout simplement parce qu’elles lui permettent de progresser, d’observer, d’examiner et d’examiner la réalité des objets qu’elle examine, et si après telle ou telle opération telle ou telle partie de la réalité dessine effectivement ceci ou cette conclusion. Les images cérébrales, par exemple, nous ont beaucoup appris. Aussi le scanner, cette division de notre corps en couches: nous sommes nombreux à l’avoir vécu avec le sentiment d’une expérience extraordinaire. Nous ne pouvons pas imaginer la science sans images. Je ne parle même pas de géographie ou de géométrie où elles sont au centre de l’étude, je parle de biologie, de physique. Mais il faut savoir où commence la confusion entre la réalité de l’objet observé et sa représentation. Au détriment de quelle perte, quelle référence, quelle concession, une image nous donne à voir l’invisible. Prenons l’exemple d’un livre sur l’univers qui part de la terre et mène aux galaxies. Une telle entreprise suppose une mise en forme du cosmos. Cela implique que nous avons la même surface pour les galaxies lunaires et oeil-de-hibou, par exemple. Si, par contre, nous devions insérer la première dans la seconde, elle se serait complètement noyée comme dans une mer de sable. Leurs dimensions relatives sont absolument – pour reprendre la racine du mot – inimaginables pour nous. Il y a donc des images inimaginables. Cela signifie parfois recourir à des métaphores (voir encadré ci-dessous).

Combien d’atomes dans la tête du chat?
Certaines images sont graphiques, d’autres sont des métaphores poétiques. Jean-Claude Carrière rapporte sur cet exemple: «Un jour, j’ai parlé à Michel Cassé. Son chat était assis sur ses genoux. Je lui demande: « Combien d’atomes y a-t-il dans la tête de votre chat? » Il a répondu: « Environ dix contre vingt-six. » Mais c’est un chiffre, pas une image, la sonnette ne sonne pas. Alors je lui demande s’il me fait sentir ce que signifie ce chiffre. Voici ce qu’il me suggère: «Oubliez la tête du chat, imaginez une orange; vous prenez l’orange dans votre main, vous en faites la terre, vous la mettez à l’échelle de la terre. Êtes-vous là? «Je me dis: oui, dans un pincement mon esprit peut imaginer ça, une énorme orange. «Maintenant, continue-t-il, remplissez-le de cerises, vous obtenez à peu près le nombre d’atomes qui sont dans une orange et donc dans la tête de mon chat. Jusque-là, je pourrais le suivre. Mais ce n’était pas encore fini. «Eh bien, me dit-il, tu prends une cerise, tu utiliseras cette cerise pour faire le dôme de la basilique Saint-Pierre à Rome. Il est plus difficile d’imaginer que la terre soit remplie de basilique Saint-Pierre … « Et vous mettez un grain de riz dans la basilique Saint-Pierre … Ce grain de riz est un peu comme le noyau à l’intérieur de l’atome. » C’est l’une des plus belles analogies dont j’ai jamais entendu parler, mais n’appelons-nous pas cela une image aussi? Une façon de représenter l’irreprésentable? «  »

Une image n’est qu’une image par définition. Vous ne pouvez jamais dire tout le point. C’est pourquoi les iconoclastes ont détruit ceux de Dieu. Ce n’est pas une pipe, a écrit Magritte … De même, une galaxie photographiée n’est pas une galaxie. Outre le problème des dimensions, que je viens d’évoquer pour le cosmos et qui se pose également pour l’intérieur du corps ou la germination des plantes, il y a celui du volume. J’ai récemment regardé un instantané de la Voie lactée, notre galaxie: une sorte de nuage rouge … Le texte scientifique qui l’accompagne dit qu’il contient 150 milliards de systèmes solaires. C’est déjà un nombre qui dépasse notre imagination: même si nous prenons un bic tip et essayons de compter sur la photo, nous ne trouverons jamais 150 milliards. Puis je me suis dit: Ici, je regarde une image plate. Comme la galaxie est grande en volume, il faudrait que je la multiplie par autant d’épaisseurs comme un scanner pour trouver ces fameux 150 milliards. Oui et ? Parce que si je me demande où nous en sommes, la réponse pourrait finir par être l’un de ces fils, mais pas nécessairement. Peut-être sommes-nous à la fin d’un autre qui est lui-même caché dans un autre plan … Il faut être prudent avec le tableau scientifique. Elle a encore besoin de médiation.

De nombreux scientifiques expriment leur méfiance à l’égard des images. Parce qu’ils peuvent mentir?

Il n’y a pas seulement un danger avec les images, mais aussi une protection contre la fraude. Lorsque vous vous délectez de la beauté des galaxies, vous faites appel à une notion humaine très relative qui n’a pas de sens d’un point de vue scientifique. Les chercheurs craignent bien entendu la vulgarisation et la trahison du regard. Mais la science ne vit pas dans une tour d’ivoire et ne travaille pas sur elle-même, elle est censée transmettre des connaissances et a donc besoin d’images. Peut-être aussi pour séduire de jeunes amateurs, les attirer vers des activités scientifiques et évoquer des vocations. C’est une réflexion qui mérite d’être approfondie par les scientifiques. Quand nous prenons une photo, n’importe quelle image, nous avons tendance à l’accrocher sur un mur et à la voir comme différente et différente de nous. Mais quand nous retournons à la Voie lactée, non seulement le stéréotype est faux parce qu’il est plat, mais cette planéité n’a pas de sens puisque nous sommes à l’intérieur. C’est assez troublant. Nous regardons quelque chose dans lequel nous nous trouvons: cela s’applique à notre galaxie, à l’univers entier, mais aussi à la terre ou à nos infiniment petits. Où en sommes-nous dans chacune de ces images? Dans un certain sens, chaque image scientifique est un miroir.

Il y a des images sans réfléchir, nous le savons tous. Y a-t-il une pensée sans images? C’est un problème qui affecte les philosophes. Mais pour quelqu’un comme moi, qui travaille dans le cinéma, il est inimaginable de penser à une scène sans images, sans voir des corps en mouvement, des conflits, sans mots ni images sonores.

Si on vous demandait quelles images de la science ont impressionné vous dans cette décennie, lesquels vous viendraient à l’esprit?

Ceux du fond de l’océan. Dans un rapport de l’année dernière, j’ai découvert des créatures qui vivent dans un détroit en Indonésie au large de Sumatra. Parmi eux, il y avait un « poisson poisson »: à un moment donné, il déploie une longue croissance comme une canne à pêche, et à la fin il y a un minuscule organe qui ressemble à un petit ver blanc. D’autres poissons passent, mordent l’hameçon et il les avale. Question profondément philosophique: le concept d’appât est un concept humain, une idée platonique, mais si le poisson qui n’aurait pas pu copier l’appât sur nous l’utilise, cela signifie-t-il qu’il existe un prototype universel de capture? Les nouvelles images de la science nourrissent-elles l’imaginaire public, le Créateur? Je serais assez strict à ce sujet. Peu de gens, sauf quelques peintres abstraits, boiront ces tableaux, et ce n’est pas la faute des scientifiques. Cet univers me fascine depuis 25 ans et je suis toujours étonné de voir que personne ne me suit dans mon environnement littéraire et cinématographique. Comme s’il y avait de la peur. Cependant, je crois fermement qu’un bon programme scientifique rassemblerait certaines personnes.

Hubert Reeves raconte l’univers. C’est une belle image. C’est un cosmos en soi. Chaque fil de sa barbe est une galaxie.

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